samedi 1 octobre 2011

Promenons-nous dans Wedding

Le scooter abandonné sur la berge du Panke l’avait surprise. Ce jour-là, l’hiver avait laissé place à un printemps timide. Les branches des arbres exposaient leur nudité hivernale sans pudeur. Le flot du Panke se faisait turbulent, grossi des eaux déneigées. Son chant se mêlait à celui des moineaux qui se réveillaient d’une latence longtemps pénible. Ce réveil de la nature, après avoir été absente à elle-même, contrastait avec l’arrêt pictural qu’exerçait ce scooter couché lascivement sur le côté.
Qui a bien pu laisser un scooter ici ? demanda en riant Pâris.
Cette question l’extirpa de ses réflexions. Bien sûr, elle n’en avait pas la moindre idée. De même qu’elle ignorait pourquoi elle ne s’appelait pas Hélène, alors qu’à cet instant elle se promenait avec Pâris.
Le scooter n’avait pas souffert de son abandon. Elle tenta un effort. Sans succès. Un détail lui échappait.


Ce jour-là, le printemps s’était installé. Elle s’était perdue en s’aventurant dans un chemin qu’elle avait découvert. Le chemin ombragé d’arbres se parait de vert. D’un coup, il avait débouché sur une route où défilaient les voitures. Leur bruit, assourdissant, l’avaient réveillée : où donc était-elle aller se perdre ? Puis en reconnaissant la caserne, son corps avait retrouvé ses repères. Elle avait alors rebroussé chemin pour se perdre dans une des colonies. Les petites baraques trônaient coquettement sur leur jardin fleuri. Enfin, le sentier longea les petits étangs. Après un tournant, une grande femme brune, les yeux cernés de kôhl, vêtue de noir, le visage ceint d’un carré égyptien regardait. Elle contemplait une poussette abandonnée qui semblait vouloir s’enfoncer dans l’herbe folle du printemps.
Qui a bien pu laisser une poussette ici ? Questionna la femme brune. Elle est en bon état. On n’abandonne pas une poussette neuve. Où est l’enfant ? Où est la mère ?
Le flot d’interrogations allait en se gonflant du pépiement des oiseaux. Elle n’en savait rien. Elle regardait, apeurée, les ombres soulevées par les arbres. Où étaient-ils donc cette mère et cet enfant ? Elle pensa alors – et pourquoi donc ? – à la vitre qui manquait dans l’escalier au-dessus de la Spree. C’était dans la station Halleches Tor. La vitre était assez grande pour qu’un corps y passe. Elle avait rêvé la chute qui se produisait dans le vrombissement des voitures circulant sur les rues parallèles. Les passants qui montaient les escaliers n’étaient que des ombres, disparaissant.


Elle suffoqua, reprenant petit à petit conscience de son corps engourdi. Le sol était froid. Elle pesait de tout son long sur le côté. Sa tête lui paraissait lourde, enfoncée et désarticulée de son épaule. Elle ouvrit lentement ses paupières, devina une lumière blanche. La neige à flocons tombait lentement. Quel était ce temps qui s’allongeait, interminable, rendu orange par la lumière artificielle ? Pénible. Une ombre floue s’esquissait dans la lumière. La masse ne la menaçait pas. Elle attendait patiemment quelque chose qui viendrait sûrement. Pénible hantait ses réflexions. Elle ne pouvait se saisir de son corps. Une odeur âcre emplissait ses narines. Sa langue était pâteuse. Inspirer semblait impossible. Elle se noyait. Mais dans quoi ? Son corps n’était que spasmes. Pour inspirer. Vainement. Pour vomir. Abondamment. L’incongru des objets trouvés, absents la gouvernait, l’empêchait de réfléchir. La lumière s’assombrissait, raccourcissant son champ de vision. Ce n’était donc pas le printemps. Elle était en plein hiver. Elle avait froid. Ses poumons s’obstruaient d’une substance insupportable. Elle étouffait lentement. Immobile. L’oxygène lui manquait. La boîte ouverte d’où s’échappait un relief de pilules, elle en emporta l’image dans un râle tandis que sa conscience bascula et s’effaça.


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