mardi 23 février 2010

Krimi in Wedding

Gaspard s'apprêtait à traverser la Seestrasse. Il laissait derrière lui le Plötzensee et le Rehberger Volkspark. Dans quelques instants, il serait chez lui. Sous les lampadaires, il percevait moins les étoiles, mais la nuit semblait toujours aussi profonde. Comme d'habitude, traverser à cet endroit relevait du casse-tête : attendre que l'Ampelmann (de l'ouest, ici) passe au vert, aller au pas de course jusqu'au terre-plein puis encore patienter pour traverser la deuxième voie qui venait de l'autoroute et se dirigeait vers Prenzlauerberg.

Sa soirée n'avait pas été mauvaise. Plutôt bonne, même, pensait-il. Alors pourquoi cet arrière-goût de sang dans la bouche le perturbait-il ? Comme chaque dimanche soir, il était allé au Schraders, café à vin mais qui fait des happy hours coktails/burgers à cette heure de la semaine. Il s'était lové dans le sofa rouge du coin du fond. Et il avait attendu.

Maintenant dans le petit bois, il longeait le Nordufer. Sur sa droite, les bâtiments imposants et sombres, se dessinaient dans la nuit par un subtil jeu de lumières. Le canal n'était qu'une fosse sombre. Les arbres protégeaient du bruits mais semblaient menaçants.


Elle était arrivée. Tout de suite, il avait su que c'était elle. Elle s'était assise dans le coin opposé, sur la chaise africaine. Son pull ocre laissait paraître la naissance de sa poitrine et remontait, s'évasant sur ses omoplates saillantes. Ses longs cheveux blonds étaient remontés en une sorte de chignon informe et dégageaient sa nuque fine et le lobe de ses oreilles. Elle sembla se concentrer quelques instants sur le menu, épais comme un roman, avant de la refermer. Alors, à son tour, elle le regarda. Elle lui sourit timidement, tira une cigarette de son sac et fit mine de chercher un briquet.


Les arbres avaient maintenant disparu. Gaspard voyait les vieux bâtiments de la clinique rattachée à La Charité, le grand hôpital universitaire de Berlin. Au loin, les bâtisses splendides de la fin du XIXe siècle s'offraient à son regard telles des grosses matrones prises de pudeur, se cachant par la rangée de platanes. L'étrange église-usine l'interloquait une fois de plus : quelle idée avait donc eu cet architecte ? Construite aussi de briques rouges, un immense tuyau sortait de sa toiture pour rejoindre le bâtiment métallisé. Il traversa une fois de plus, dépassant le port.


Calée sur le sofa à côté de lui, cela faisait bien une heure qu'elle discutait avec lui. Attirée par son briquet, qu'il avait laissé de manière ostentatoire sur la table, elle l'avait accosté puis était resté. Elle n'était pas Allemande mais Polonaise. Cela faisait une demi-dizaine d'année qu'elle était arrivée et vivait de petits boulots, attendant que son talent de photographe soit enfin reconnu. Quand elle parlait de son art, ses yeux pétillaient et sa carotide marquait un léger mouvement qui créait une ombre mouvante. Sa peau, diaphane, offrait un réel contraste avec l'ambiance rouge-sang de la salle enfumée. Prenant le briquet en même temps qu'elle, il avait caressé sa main fine. Il avait alors été parcouru d'un léger frisson. Décidément, c'était elle. Sa main avait alors remonté le long de son bras. Il avait marqué une pose sur son épaule, jouant sur l'interstice que l'encolure faisait jouer entre la matière voluptueuse de la laine angora et la douceur de sa peau. Puis il avait poursuivi délicatement le long de sa nuque. Il s'était alors interrompu, s'excusant par un sourire maladroit dont il avait le secret. A son tour, elle lui avait souri.


La rue qui longeait le Nordufer était vraiment étrange par le contraste qu'elle offrait. A gauche, ces vieux immeubles majestueux, à droite, ce no man's land industriel. A gauche de vieux restaurants, véritables tavernes prussiennes, à droite, rien. devant le pont où passaient les S-Bahn. Juste après, il traverserait la dernière rue et retrouverait son calme.


Sous le parasol chinois, il avait une vue sur la petite salle rouge. Elle était vraiment la plus belle, ce soir. Il sentit alors une main se poser sur sa cuisse et lentement remonter jusqu'à son sexe qui se gonfla et se durcit sous la caresse. Elle lui parlaient des sangliers qu'elle aimait regarder. Enfermés dans un espace trop étroit pour leur nombre, ils lui semblaient chaque fois comme une masse d'énergie compressée. Nonchalamment, il lui caressa la nuque. Sa voix l'excitait de plus en plus et sa main ne se lassait de lui parcourir la cuisse. Il brûlait de l'embrasser mais voulait retarder ce moment qui en amènerait un autre dont il se réjouissait d'avance.


Il se rapprochait de sa maison, longeant toujours le serpent noir qui contrastait encore avec la lumière du nouvel espace aménagé. Il décida sur le banc démesuré où il pourrait se remémorer sa soirée.


Ils étaient maintenant dans la nuit du Rehberger Volkspark, face à l'enclos des sangliers. Contre un arbre, il la prenait, remontant sa jupe, caressant compulsivement son cou. Elle l'embrassait fougueusement pendant qu'il la pénétrait.


Arrivé de la tour d'observation où le mannequin paraît défié le temps, il pénétra dans son immeuble, construit depuis moins de dix ans , là où s'élevait le mur. Parvenu devant la porte de son appartement, il entra. L'arrière-goût dans sa bouche avait disparu, il était calme de nouveau. Non, décidément, il avait eu une bonne soirée. Il ne regrettait pas de l'avoir étranglée.

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