lundi 5 décembre 2011

Promenons-nous dans Wedding (Point de vue n°2)


 


Nous pénétrons, invisibles, dans une pièce aux murs décrépis. Nous sommes maintenant face à des fenêtres d’usine. La neige, à gros flocons, tombe lentement. Il faut nous approcher de cette fenêtre pour être capables d’en distinguer la vue. De gauche et de droite se dressent des murs hauts, en briques, aux ouvertures massives. Le sol, pavé, ne peut être vu car nous sommes sans doute au dernier étage et la nuit est trop profonde. Retournons-nous lentement car dans ce volume, chaque bruit résonne. Pourtant personne ne nous entend.

Au sol, sur un tapis vert mâchuré, gît une femme. Elle est dans cet âge où la maturité apparaît. Elle porte des bottes, un jean, une robe et par-dessus un pull blet. Ses mains posées sur son ventre, délicatement, sont d’albâtre, mais le bout des doigts ont pris une teinte bleu givré. Elle doit être transie, mais nous ne sentons pas le froid.

Quelques mètres plus loin, une table sur laquelle est posé un cendrier. Et sur une chaise, accoudé à la table, un homme habillé de noir. Il fume une cigarette et semble attendre. Il est assez mince mais son vaste manteau et sa longue écharpe autour du coup en modifie la silhouette. Il semble ainsi gagner en épaisseur. Son visage est si torturé de tics qu’ils en ont sculpté chaque trait. Ses cheveux, mal coupés, sont sales. Il sort une nouvelle cigarette d’un paquet presque plein et la porte à la bouche. Il prend un briquet argenté de sa main droite, met la gauche devant sa cigarette, fait rouler la pierre et approche la flamme de cette cigarette. Il inspire deux fois. L’extrémité de la cigarette rougit. Il repose le briquet sur la table et pose consciencieusement sa main gauche à plat à côté du briquet. Par ce geste, il semble lutter contre l’envie de s’en saisir à nouveau. Sa main est fine et nerveuse, comme nouée du réseau exacerbé de ses veines. Tirant sur sa clope, il regarde la fille couchée. Très lentement, il ressort la cigarette de sa bouche et expire. En répétant ces gestes, il reste focalisé sur la femme, son regard passe aussi lentement que ses gestes de la pointe des bottes au crâne comme s’il la déshabillait. Elle dort toujours, mais son sommeil ne semble plus si paisible. Sent-elle ce regard sur elle ? Rêve-t-elle ? Nous l’ignorons. Sa cigarette presque finie, l’homme en inspire une dernière fois la fumée. Le mégot flamboie. Il l’écrase dans le cendrier, pour l’instant peu encombré. Il continue à observer la fille de plus en plus agitée par ses rêves.

Nous regardons cette scène et, peu à peu, nous perdons la notion du temps. Ces gestes répétés lentement ne s’interrompent pas. Leur monotonie nous fascine. Il neige sans que cela ne cesse derrière la vitre. Parfois le vent qui s’engouffre dans les tuyaux d’une ancienne soufflerie nous extrait de notre hypnose.

L’homme, à un moment (comment le décide-t-il), se lève, sort une bouteille d’eau et une boîte de pilules de la poche droite de son manteau. Il s’approche de la jeune femme, s’assied et, délicatement, lui verse quelques comprimés dans la bouche et lui donne à boire. On dirait qu’il s’occupe d’un enfant malade. Ses gestes sont doux. Les lèvres de l’endormie s’agitent. Nous sommes trop éloignés du couple pour entendre les mots qui cherchent à s’échapper. Il pose la boîte à côté de la tête de la jeune femme qu’il caresse doucement. Il repose sa compagne et se relève. Ce geste fait tomber la boîte dont quelques pilules fuient.
Il retourne tranquillement s’asseoir à la table et reprend son attente. Nous aussi. Combien de temps se passe-t-il ?

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Tout à coup, la jeune femme hoquète. Ses mains se tendent vers une aide qui ne vient pas. Elle tente de se lever, inconsciente. Mais ce geste se perd dans sa torpeur. Elle ouvre difficilement des yeux qui s’étonnent en apercevant la neige. Puis les clôt aussitôt. Elle vomit mais ne peut tout recracher. S’étouffe. Elle inspire vainement. Ouvre les yeux. Les exorbite. L’effroi est imprimé sur son visage. Elle semble voir encore et se tend vers l’autre inconnu. Tranquillement, il fume. Elle vomit encore, inspire mais ne peut plus car c’est son dégueulis qui entre dans ses poumons. Chaque effort est une condamnation. Les râles sont longs et nous semble interminables.

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La pièce est propre. Le cendrier est vidé. La chaise est rapprochée de la table. Sur le tapis, gît une jeune femme nue. Elle pourrait dormir si ce n’était saugrenu. L’homme est parti.
Sortons-nous ?